La communauté de construction Minecraft est à l’origine de projets titanesques, menés par des individus seuls vrir par des équipes de dizaines de personnes. Pour briller lors d’un concours, ou en partenariat avec des institutions publiques. Bref, elle est faite de joueurs et collectifs qui sont le moteur d’un progrès permanent, tant dans les techniques de build que dans les styles. Cette diversité est donc incarnée par tout autant d’acteurs, qui se distinguent chacun par leur parcours, leur style, ou leur équipe. La chronique du builder a pour objectif de mettre avant ces joueurs. Régulièrement, cette série d’articles en partenariat avec Skrill publiera des portraits de builders, ainsi que leur interview et quelques-unes de leurs créations les plus emblématiques.
Aujourd’hui, dans la chronique du builder, nous vous présentons le builder canadien Hydraxus. Sean Davidson, de son vrai nom, est membre de la prestigieuse team BlockWorks, équipe de construction britannique qui a travaillé avec de nombreuses institutions publiques, notamment Tate, le Royal Institute of British Architects et le Museum of London, mais aussi des partenaires privés comme le Guardian, Warner Bros. et Disney. Étant leur Managing Partner, Hydraxus a justement été en contact avec ces prestigieux clients et dispose d’une expertise unique, qui fait de lui un professionnel de Minecraft. Avant d’occuper une telle position, Hydraxus s’est également illustré par sa participation dans l’élaboration d’un style prépondérant au sein de la communauté de construction Minecraft : le « style Pandora’s Blocks ».
Créations d’Hydraxus
Interview
Skrill : bonjour Hydraxus, merci de nous accorder cette interview. Pour commencer, comment devrions-nous t’appeler ? Je veux dire par là que beaucoup de joueurs t’ont connu sous le nom d’Hydraxus pendant des années, mais que maintenant, tu utilises ton vrai nom, notamment sur ton compte Twitter. Devrions-nous voir cela comme étant le signe d’une transition d’un joueur de Minecraft vers un professionnel aguerri ? Et considères-tu qu’afficher ton vrai nom au lieu de te cacher derrière un pseudo est une forme d’engagement vers ta récente et complète professionnalisation ?
Hydraxus : appelez-moi par mon prénom, Sean. Le changement de mon ancien pseudo Hydraxus vers mon vrai nom a été plus ou moins indicatif de l’état de l’industrie minecaftienne – un changement vers la professionnalisation. Ce n’est pas tant que nous avons besoin d’être plus professionnels pour réussir ce que nous faisons, plutôt que nous avons besoin d’être considérés comme un environnement qui bouge.
Mon travail quotidien consiste à parler à des clients importants ; c’est donc beaucoup plus simple de le faire avec son vrai nom. Le problème des pseudos, c’est aussi qu’ils peuvent changer souvent. Je suis parti de trois grandes équipes de construction, mais à chaque fois qu’on laisse le nom d’une équipe derrière soi, on laisse tout : tout le travail, la réputation, les fans… Travailler sous mon vrai nom m’a permis d’être plus stable dans mon travail et de développer ainsi mon CV et mon portfolio.
SpookyPowa : comment s’est produite cette transition vers le professionnalisme ? Est-ce que c’est arrivé brutalement, grâce à un gros projet, ou plutôt petit à petit, sur le long terme ?
Hydraxus : je pense que c’était un changement long et graduel.
Il y a bien sûr eu beaucoup d’étapes sur la route qui nous a aidés à façonner cette transition, la première étant cette chance de travailler avec de grands youtubeurs et serveurs, un secteur dans lequel beaucoup de builders travaillent aujourd’hui encore. Ensuite, mon premier gros contrat avec une entreprise a été de concevoir le calendrier Minecraft officiel de 2014 avec J!NX. Ensuite, j’ai décroché d’autres contrats, notamment avec Microsoft, plusieurs musées, etc..
Travailler sur le spot tv publicitaire de la Xbox One S a été un pas déterminant dans ma professionnalisation. L’entreprise avec laquelle nous travaillions et le contrat qui nous liait à elle exigeait de nous un haut degré de professionnalisme. Il faut être mature devant les gens que vous voulez impressionner, vous voyez l’idée ?
Aspirer à être plus professionnel m’a offert les marqueurs nécessaires pour gravir les échelons et pour être pris au sérieux dans un milieu qui ne voit traditionnellement pas les jeux vidéo comme un matériau d’expression légitime.
Skrill : le fait que certains builders Minecraft soient payés est encore aujourd’hui un vaste sujet de discussion, peut-être même plus en France qu’ailleurs. À partir de ton expérience personnelle, penses-tu que la professionnalisation d’une partie de la communauté ait ouvert des portes qui n’auraient pas pu être ouvertes sans l’intervention de l’argent ?
Hydraxus : c’est effectivement un vaste sujet, malheureusement controversé.
Je pense que l’intervention de l’argent a toujours créé de nouvelles possibilités pour la communauté de construction Minecraft – et honnêtement, comme pour n’importe quel autre milieu. Mais le nombre d’opportunités disponibles ne semble qu’augmenter à ce point, en particulier grâce à Minecraft: Education Edition, le Marketplace, les sites indépendants comme le Schematic Store. Je pense que le crossplay à venir aura également un impact immense sur l’industrie Minecraft, sans doute un impact excitant et positif, même.
Le premier exemple de l’intervention de l’argent était probablement la création de gigantesques serveurs multijoueurs qui, à leur tour, ont permis à certains builders de prendre leur essor. Nous sommes les acteurs d’une industrie encore grandissante de ce point de vue-là, malgré ces freins que sont le CLUF et les Termes de Services.
SpookyPowa : en parlant d’industrie, penses-tu que les builders Minecraft à plein temps puissent devenir, s’ils sont soutenus par un réseau suffisant, des builders professionnels, dans le sens où ils pourraient vivre de cette activité ?
Hydraxus : l’infrastructure de cette industrie est résolument disponible pour des builders à plein temps qui souhaiteraient transformer leur travail en carrière professionnelle. Cela requiert simplement un peu d’ambition et d’initiatives. Minecraft a engendré son lot de start-ups et les opportunités que saisissent les builders pour travailler ne représentent qu’une partie de ce qu’ils pourraient exploiter – leur potentiel, j’imagine.
C’est donc effectivement possible, puisqu’il y a déjà des builders à plein temps qui vivent de leur travail. La seule team BlockWorks en a déjà une douzaine. Mais pour beaucoup, les opportunités ne sont pas aussi visibles, et cela requiert de travailler dur, ainsi que de la détermination. Je pense aussi qu’il deviendra plus facile dans le futur, grâce à la commercialisation grandissante des constructions Minecraft.
Je travaille comme builder à plein temps depuis près de 4 ans, et j’en vis. Je peux donc confirmer de ma propre expérience que c’est possible, que le potentiel est là et que l’industrie existe.
Skrill : et que penses-tu du futur de Minecraft en tant que support artistique ? Penses-tu que BlockWorks sera capable de ménager une place pour des builders artistiques comme Circleight, Udvio et Cjrainbolt pour qu’ils aient un marketplace dédié à l’art digital plus qu’à des constructions commerciales ? Pour être plus clair : penses-tu que nous pourrons voir un marché artistique dans Minecraft ?
Hydraxus : je ne pense pas qu’un marché purement dédié à l’art dans Minecraft existe actuellement, ou du moins pas assez pour avoir un réel impact. Seules les propositions de maps à Minecraft Realms s’en approchent.
Au final, il est important de rappeler que Minecraft est un jeu vidéo et que l’audience commerciale est surtout intéressée par du contenu interactif. L’art n’est qu’une portion de cela (mais il n’est surtout pas insignifiant), du moins dans cette optique commerciale.
En fait, nous lançons un concours au musée Victoria & Albert de Londres le week-end du 30 juin et du 1er juillet, et c’est probablement l’un de nos projets les plus proches de ce qu’on pourrait qualifier de contrat artistique. Il est interactif en ceci qu’il implique une grande communauté, mais il tourne autour de ces idées d’art pur et de design, sans cette nécessité de fonctionnalité qu’on pourrait avoir sur le Marketplace.
Je pense également que le mapmaking dans son ensemble pourrait être considéré comme de la création artistique en ceci que de nombreux jeux vidéo sont perçus comme de l’art. Cela demande juste une plus large acceptation de ce que l’art peut être.
Des builders comme Circleight, Udvio et CJrainbolt qui créent de l’art « visuel » plutôt que de l’art « interactif » pourraient avoir historiquement avoir plus de mal à trouver une place dans l’industrie Minecraft, mais dans le cours actuel des choses, davantage de portes s’ouvrir devant eux, et ils auront plus d’opportunités dans l’éducation et dans le design dans Minecraft pour être perçus comme des artistes de plein droit, sans avoir à s’associer à d’autres.
SpookyPowa : maintenant que BlockWorks et toi avez une réputation solide, vos « clients » viennent-ils directement à vous ou bien venez-vous les chercher vous-mêmes ? Et pourquoi des institutions telles que des musées montrent-elles autant d’intérêt pour Minecraft ?
Hydraxus : un peu des deux. Les grosses institutions considèrent rarement Minecraft comme une option viable [pour atteindre leur public], donc nous consacrons beaucoup de temps et de ressources à trouver des institutions qui seraient désireuses de laisser une chance à Minecraft – et elles sont toujours agréablement surprises par le résultat. Je ne suis pas tout à fait sûr que notre réputation signifie tant de choses que ça à leurs yeux. Je pense que l’attitude, un portfolio solide et une bonne connaissance de l’industrie peuvent être au moins aussi utiles.
Les musées considèrent Minecraft comme une sorte d’engagement fort – Minecraft a 128 millions de joueurs, et est donc de loin le jeu le plus joué de cette génération. Ce jeu est pour eux l’opportunité de capter l’attention d’une audience jeune, autrement difficile à atteindre. Minecraft est également très malléable, et le contenu personnalisé qu’il permet de créer peut passer de quelque chose de totalement éducatif à un jeu vidéo engageant qui a le potentiel d’être aussi complet qu’un RPG moderne.
Skrill : passons à des questions davantage orientées sur la construction. Beaucoup de builders étaient très impressionnés par tes premiers megabuilds et par le style fantasy que tu avais développé, seul et avec tes précédentes équipes (Mysidia, Pandora’s Blocks). Tu as sans doute été le précurseur d’un style entièrement conçu pour Minecraft […]. Penses-tu que cette période soit terminée ? Ou prévois-tu de faire d’autres bâtiments de ce type ?
Hydraxus : ah oui, le style « Pandora’s Blocks », un classique. Avec ses designs d’escaliers très décorés et ses piliers fins, il me plait encore beaucoup.
Je ne pense pas que la période du style fantasy soit proche du déclin, dans la mesure où de nombreux builders comme Udvio et CJ s’y investissent encore massivement. Mais ils ont un regard nouveau et rafraichissant dessus. Le style fantasy est l’essence de l’imagination, donc ce « style », si on peut l’appeler comme ça, a encore de la place pour croître et évoluer. Personnellement, je me suis tourné vers quelque chose de plus réaliste, particulièrement en termes de détails et de style, mais les éléments fantasy jouent encore un rôle important. Je pense que tenter de nouveaux styles et repousser mes limites m’a aidé à évoluer en tant que builder.
J’ai été notamment intéressé assez tardivement par l’architecture « minimaliste » dans Minecraft. Pousser ce qu’on considère comme un détail jusqu’à ses limites les plus lointaines pour voir quels nouveaux styles en ressortent […] est particulièrement instructif et aide beaucoup à rendre chaque construction unique.
Skrill : justement, est-ce que ça t’amuse encore de faire du « R&D » [Recherche & Développement, NdlR] pour tes constructions ?
Hydraxus : C’est résolument l’une de mes parties préférées dans la conception d’une construction ! le R&D est la première étape de la construction, où l’on planifie l’agencement, sélectionne une palette de couleurs et conçoit des espaces. C’est extrêmement appréciable de le faire, et cette méthode ne se démode pas. En particulier pour les contrats où nous avons des références architecturales à respecter, translater un style extérieur et bien réel dans Minecraft est un challenge unique.
En plus, je suis assez perfectionniste, ce qui n’arrange pas les choses. Je passe la plupart de mon temps à faire les premières phases du projet : être sûr que les fondations sont correctes, que le projet est bien pensé…
Skrill : à propos du style que tu utilisais dans tes megabuilds vers 2014-2015, que beaucoup qualifient de style « PB » (en référence à Pandora’s Blocks), il semble que ses racines soient plus anciennes que ce qu’on pourrait penser. Comment es-tu arrivé à concevoir ce style, qui est sans doute le plus important de l’histoire de la construction dans Minecraft ?
Hydraxus : les projets que nous faisions avec PB remontent à bien avant 2013, Ceruleon étant probablement l’un des premiers exemples publics du style PB en action – au moins de façon significative. Il a finalement été publié en octobre 2013, mais le début de la construction remonte à bien plus longtemps. Et justement, Balefire était un projet que j’admirais beaucoup, en ceci qu’il était très similaire à ce que nous étions en train de faire en privé. C’était également à ce moment-là qu’Alecdent travaillait avec nous sur le serveur Pandora’s Blocks.
Je pense que le style lui-même a de nombreuses racines et sources. Personnellement, je construisais beaucoup de fantasy lorsque j’étais chez Mysidia, c’était un style prédominant à cette époque, d’autant que Circleight était alors très actif et m’inspirait beaucoup. Ma propension à développer de nouveaux styles fantasy combinée aux racines architecturales de mon business partner chez Pandora’s Blocks, Zortron, a probablement été la première étincelle qui a donné naissance à ce qui a plus tard été appelé le style PB.
Le style PB a commencé avec beaucoup de détails ornementaux, notamment pour nos commissions de spawns de serveurs vers le début de l’année 2013, alors que l’équipe commençait à grandir. Il a lentement évolué vers un style plus cartoon alors que d’autres constructeurs le récupéraient à leur compte – mais les racines profondes du style PB commencent avec une pensée attentive pour l’architecture, la planification, un degré extrême d’ornements et une nouvelle méthode de création pour créer des formes encore plus complexes en utilisant tous les blocs disponibles à cette époque.
Je pense qu’il serait présomptueux de qualifier ce style comme étant le plus important de l’histoire de la construction dans Minecraft. Même si je l’apprécie énormément, je ne pense pas que ce soit entièrement vrai. De mon point de vue, en tout cas, chaque style prédominant ayant existé dans la communauté de construction Minecraft a influencé le builder « moyen » d’une façon ou d’une autre. Et une fois que son « ère » est terminée, les constructeurs s’en détournent avec des connaissances neuves sur la façon d’approcher leur domaine.
Le style PB est souvent considéré comme l’un des plus importants parce qu’il était l’un des derniers styles à être universellement utilisé et reconnu par la plupart des constructeurs. Aussi, il est souvent associé à la fin de l’ère durant laquelle les styles de construction étaient universels, de la même manière que des serveurs comme Mithrintia et The Voxel Box ont influencé le jeu.
Mais Minecraft a connu tellement d’embranchements depuis qu’il devient difficile pour un unique style d’avoir une telle attention de la part de la communauté, ou de l’influencer dans son ensemble.
Skrill : en parlant de style et d’inspiration, qu’est-ce qui t’inspire ? As-tu des influences artistiques dont tu aimerais nous parler ?
Hydraxus : la réponse à cette question a beaucoup varié au fil du temps. J’ai eu différents types d’inspirations. Et beaucoup d’entre elles ne viennent pas de l’intérieur du jeu lui-même, c’est difficile de ne pas être influencé par son environnement, surtout par des expériences de la vie réelle. Je suppose que j’ai eu un intérêt particulier pour le réalisme et l’architecture. Aussi, j’ai toujours été fasciné par les influenceurs modernes dans ce domaine – je me retrouve souvent à chercher de l’inspiration dans des magazines architecturaux, dans des projets contemporains et durables ou bien en voyageant à l’étranger. C’est ce que je peux faire pour m’imprégner de nouveaux styles.
SpookyPowa : nous arrivons au terme de cette interview, merci de nous avoir accordé un peu de ton temps. Une dernière question : quel est ton builder francophone préféré actuellement ?
Hydraxus : oh, c’est une question simple : MrBatou et Udvio, sans l’ombre d’un doute. Ils ont été incroyablement influents ces derniers temps et ont inspiré de nombreux builders partout dans le monde. Des équipes comme la NewHeaven ont également accompli un travail remarquable dans le développement de genres nouveaux et innovants. Et bien sûr, la DeepAcademy occupera toujours une place importante dans l’histoire de la construction Minecraft.
Je suis impatient de voir davantage de builders et équipes francophones les imiter dans le futur !
Image de Une réalisée par GreenLenux.
Superbe interview !